Dans toutes les boîtes de jeux on trouve quelque part un petit fascicule, ou au moins une fiche, qui fournit la « règle du jeu ». On y détaille les éléments fournis et leur nombre : plateau, pièces, cartes, billets, jetons, dés, totons, râteliers et autres éléments. On y  indique le but du jeu, le nombre des joueurs, la façon de débuter, le déroulement du jeu, les actions permises et celles qui ne le sont pas, les pénalités éventuelles, comment le jeu s’arrête et comment on détermine que le jeu est gagné et par qui s’il y a plusieurs joueurs.

Quand on y réfléchit, on s’aperçoit que cela n’existe pas pour les Mots Croisés. Ce jeu, avec ses millions d’adeptes, n’a pas de règles précises !

Pourtant d’autres jeux de lettres ont abordé et résolu la question. Les règles du Scrabble, par exemple, sont édictées par la Fédération Internationale de Scrabble Francophone. Dans cette discipline on a clairement défini ce qui est un mot : un mot de Scrabble est un mot qui fait partie de la liste officielle des mots agréés qui fait l’objet d’une publication chez Larousse : l’Officiel du Scrabble. C’est simple, non ?
Eh bien, cela n’existe pas avec les Mots Croisés. 

Autour d’une grille il n’y a que l’accord de deux complices qui la plupart du temps ne se connaissent pas.

Le verbicruciste qui compose les problèmes, leur imprime son style en construisant le jeu à sa façon, comme l’écrivain écrit son roman.

Le cruciverbiste qui est en même temps le joueur et l’arbitre. S’il partage une connivence dans la découverte de ces énigmes alors il continuera à jouer sinon il ira chercher quelque chose d’autre ailleurs.
 

Comme les jeux de lettres utilisent des mots, il semble important de définir clairement les critères de validité dans le choix de ces mots.  On le fait par des règles générales comme l’utilisation ou non des noms propres, la conjugaison ou non des verbes, la prise en compte ou non des mots composés.  On le fait aussi par le choix d’un ou plusieurs ouvrages de référence.  Nous venons de voir que pour le jeu de Scrabble il en existe un qui est l’Officiel du Scrabble.

Les mots croisés forment encore un grand champ de liberté.  Il n’y a pas d’instance constituée   pour constituer des règles.

Liberté ne veut pas dire désordre total et il y a quelques usages établis. 

Dans le principe une grille de mots croisés contient des mots de la langue dans laquelle elle est bâtie.  La référence tacite est un dictionnaire usuel comme le Petit Larousse Illustré.  Les noms propres sont admis. Les conjugaisons des verbes sont admises.  Les réponse sont écrites en lettres capitales. Les accentuations ne sont pas prises en compte : âpres et après deviennent homographes sous la forme APRES.  Les mots composés sont admis mais dans la grille les tirets, les apostrophes ou les espaces sont omis : La Palisse donne LAPALISSE, arc-en-ciel devient ARCENCIEL.
 

Certains auteurs, comme Roger La Ferté, prônent la rigueur du vocabulaire et demandent qu’on se limite aux règles précédentes. La liste des mots utilisables est alors contrainte et pour une taille de grille donnée le taux moyen des cases noires ressort autour de 12% à 15%.

Dans ce cas la règle de base  est que « Toute suite de deux caractères ou plus est un mot. Un mot doit être attesté dans un dictionnaire d’usage comme Le Petit Larousse Illustré ou Le Robert ».

D’autres auteurs, comme Georges Perec ou Robert Scipion, se sont astreints à produire des grilles présentant un nombre très limité de cases noires avec des taux passant au dessous de 10%. Pour cela ils se sont permis des licences avec la règle précédente.

La définition d’un mot pourrait alors s‘exprimer d’une manière plus large « Toute suite de deux caractères ou plus est un mot. Un mot doit être attesté dans un dictionnaire d’usage comme Larousse ou Robert ou requis pour l’élégance de la grille et justifié par une définition de qualité ». 

Si on l’accepte, cette extension ouvre la porte à de très beaux problèmes où l’auteur peut faire preuve de sa maîtrise aussi bien dans l’architecture de la grille que dans les définitions qu’il apporte à ces mots nouveaux.
 

Le jeu de mots croisés est constitué d’un espace de jeu, d’un carnet de jeu et d’une solution.

Le jeu consiste à remplir l’espace de jeu selon les indications du carnet de jeu.

Le jeu est gagnant si le résultat est identique à la solution.

L’espace de jeu ou grille est un réseau formé d’un ensemble contigu de cellules vides -les cases blanches  - ou pleines - les cases noires ^[1]. Cette grille aura généralement un contour rectangulaire sans que ceci soit requis.

Les bordures extérieures et les cases noires seront appelées bornes.

Il est illégal qu’une case blanche soit entourée de quatre bornes.

Une suite, horizontale ou verticale, d’au moins deux cases blanches comprises entre deux bornes est appelée mot ^[2].

Un système approprié de repérage doit permettre la localisation de chaque mot d’une grille.

Le carnet de jeu est un ensemble complet de définitions associé par le repérage à l’ensemble des mots de la grille ^[3]. Une définition est une information plus ou moins énigmatique devant permettre au joueur de deviner le mot correspondant pour l’inscrire sur sa grille.

Le jeu est normalement joué par un seul joueur. Il consiste pour ce joueur à placer une lettre ^[4] dans chacune des cases blanches de la grille de telle manière que chaque mot réponde à la définition correspondante du carnet de jeu.  

Le jeu est terminé lorsque toutes les cases blanches ont été occupée par une lettre selon les règles. L’arbitrage consiste à comparer sa grille complétée avec la solution, c’est-à-dire celle que l’auteur avait prévue. Le jeu est gagné si ces grilles complétées sont identiques. 

Variantes : Le joueur peut être constitué en équipe.

Des équipes peuvent entrer en compétition sur la résolution du même problème avec un arbitrage et un départage sur le temps de résolution. Au cas où tout le problème n’est pas résolu dans un temps maximum imparti, un mode de valorisation de l’avancement de la grille pourra avoir été établi pour établir un départage.
 
 

^[1] Il s’ensuit que tout mot a une définition (et qu’une case isolée dans une direction n’en a pas).

^[2] Il résulte des deux derniers points que toute case blanche appartient toujours à un mot ou à deux mots.

^[3] Tout mot a une définition. Celle-ci sera plus ou moins énigmatique selon les conventions écrites ou tacites.

^[4] Parmi les 26 lettres capitales de notre alphabet latin (de A à Z, hors diacritiques –accent, tréma, cédille, etc.)

Hervé Hardoüin